ledevoir.com

Une odeur de guerre civile

Tiens donc ! Lorsque les premières rixes ont éclaté à Los Angeles, les Français ont ressenti comme une impression de déjà-vu. Comme si les vapeurs de lacrymos avaient traversé l’Atlantique et que les Américains, pour une fois, copiaient les Français. À tout seigneur, tout honneur, n’est-ce pas en France que, il y a deux semaines à peine, des hordes barbares s’en sont prises, entre autres, aux Champs-Élysées, saccageant tout sur leur passage ? Bilan des violences dans le pays : 692 incendies (dont 264 véhicules brûlés), 559 interpellations et 307 personnes mises en garde à vue. Tout cela pour « fêter » (excusez l’ironie) la victoire du Paris Saint-Germain (PSG) contre l’Inter Milan en finale de la Ligue des champions.

Mais on peut toujours faire mieux. Dans certaines banlieues, on voit encore les traces de la « vague de pillages et de violences sans précédent », selon une commission d’enquête du Sénat, qui a frappé le pays il y a moins de deux ans après la mort de Nahel, un jeune délinquant tombé sous les balles de policiers dont la culpabilité n’a toujours pas été établie. Ici, on parle de plus d’un millier de blessés dans 672 communes et de deux décès directement imputables à ces violences. Plus de 2500 bâtiments ont été incendiés ou dégradés, dont 273 postes de police, 105 mairies, 243 écoles et 1500 commerces. On estime les dommages à 1 milliard d’euros (1,6 milliard $CA), ce qui est quatre fois plus que lors des émeutes de 2005, qui avaient été elles-mêmes parmi les plus violentes. Il n’y a pas que le PSG qui bat des records.

Certes, les contextes sont différents, mais il n’en reste pas moins que les violences extrêmes qui s’expriment aussi bien dans la « doulce France » que dans la sauvage Amérique, dans les banlieues de Paris comme dans Los Angeles, ont des points communs. L’un des premiers est cette hyperviolence qui se manifeste notamment chez les jeunes. Il ne s’agit plus de mettre le feu à des poubelles et de renverser des barrières de sécurité, mais de tirer avec des mortiers d’artifice sur des policiers ou de leur lancer au visage des balles de golf et des blocs de ciment. On parle ici de tentatives d’homicide.

Cela fait des années que le pédopsychiatre Maurice Berger, qui a créé à Saint-Étienne le seul service hospitalier français consacré à ces jeunes, tire la sonnette d’alarme. Tout au long de sa carrière, il a constaté la recrudescence d’une « hyperviolence » chez des individus de plus en plus jeunes issus de familles généralement déstructurées, qui ne font plus la différence entre un coup de poing, une agression au couteau et des tirs de mortier. « Le plaisir est celui de frapper, de détruire ; tout raisonnement est absent, il ne reste que l’ivresse de la barbarie », disait-il. On est loin des revendications, légitimes ou pas, du militant lambda. D’ailleurs, un signe ne trompe pas : ces manifestants sont masqués. On n’imagine pas Michel Chartrand ou Alexeï Navalny dissimulant leur visage. À cette époque, la gauche avait sa fierté.

Dans le centre éducatif judiciarisé où il travaillait, Berger nous avait confié en entrevue que 90 % des mineurs étaient issus de familles maghrébines. Il ne s’en étonnait pas, car il savait qu’après la déstructuration familiale, ces jeunes étaient aussi le fruit de celle que provoque l’immigration. Il y a longtemps que le professeur de Harvard Robert Putnam — lauréat du prix Johan-Skytte, considéré comme le Nobel des sciences politiques — a démontré combien, passé un certain stade, le melting pot détruit le lien social. Et c’est encore plus vrai lorsque l’écart culturel et civilisationnel est grand.

* * * * *

On comprend dès lors pourquoi, en dépit du personnage, le combat de Donald Trump contre l’immigration illégale a tout pour faire l’envie d’une majorité de Français, qui n’ont cessé depuis 30 ans d’exiger de leurs dirigeants une telle détermination.

Certes, à 18 mois des élections de mi-mandat, l’envoi des gardes nationaux et des marines pour mater les émeutiers relève probablement d’un calcul politique. Mais le gouverneur de la Californie, Gavin Newsom, n’est pas non plus dénué d’ambition à un moment où les démocrates se cherchent un sauveur. Rappelons aussi que les rafles sauvages de la police de l’immigration (ICE) sont en partie dues au refus de la Ville de Los Angeles, une ville « refuge », de fournir, par exemple, les informations sur la sortie de prison d’illégaux condamnés par les tribunaux. C’est ce qu’a rappelé la journaliste du Wall Street Journal Allysia Finley, qui évalue leur nombre à quelques centaines de milliers sur tout le territoire américain.

On doit certes reprocher à Donald Trump et tout particulièrement à son chef adjoint de cabinet, Stephen Miller, leur acharnement sur ces illégaux qui travaillent et vivent pacifiquement depuis longtemps aux États-Unis. Mais certainement pas de combattre une immigration illégale devenue endémique, puisque le président a justement été élu pour ça. Et encore moins de renvoyer ceux qui ont été condamnés par la justice, comme ont souhaité le faire tous les ministres de l’Intérieur qui se sont succédé depuis dix ans en France. Dans ces combats — qu’il a d’ailleurs en partie déjà gagnés puisque les entrées à la frontière mexicaine ont chuté de manière spectaculaire —, Trump a le soutien d’une majorité d’Américains.

« L’indécence de l’époque ne provient pas d’un excès, mais d’un déficit de frontières », a écrit Régis Debray. Frontières que l’écrivain définissait comme « le bouclier des humbles ». Cette odeur de poudre, en France comme aux États-Unis, est le fruit de longues années qui ont vu triompher l’idéologie du sans-frontiérisme. Pas plus que les hommes ne peuvent vivre sans famille, les nations ne peuvent vivre sans frontières. Si celles du pays s’effondrent, des murs s’élèveront dans chaque région, des clôtures dans chaque quartier et autour de chaque maison. À terme, les citoyens décideront de se défendre eux-mêmes. C’est ainsi que l’on crée le terreau d’une guerre civile dont les symptômes avant-coureurs sont déjà sous nos yeux.

À voir en vidéo

Read full news in source page