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Quand la planète tangue

C’était la grande nouvelle chez les résidents de l’immeuble venus dehors en griller une: l’attaque de l’Ukraine contre les bases militaires russes. On aurait dit qu’on fêtait une victoire collective! Quasiment aussi excitante que la victoire historique, samedi soir à Munich, du PSG, le célèbre club de foot Paris-Saint-Germain, champion d’Europe pour la première fois de son histoire. Un des plus beaux matchs de foot que j’ai vu!

Dehors, chacun y allait de son boniment: comment Zelensky s’y était pris, le nombre de drones, le nombre d’avions écrapoutis, le nombre de bases militaires touchées. Ce qui m’a permis de constater une fois de plus qu’on entend à peu près tous les mêmes nouvelles, qu’on soit fan de la BBC, de CNN, ou de BFM.

Oui, nous prenons nos infos internationales à l’extérieur du pays. On peut les avoir à toute heure, et elles ne sont jamais entrecoupées par un reportage sur les moucherons affamés en Abitibi ou la découverte d’un rat musqué sur le Plateau Mont-Royal.

En revanche, on ignore encore comment Poutine réagira à cet affront. On peut carrément craindre le pire, tant les enjeux sont grands pour lui. Car s’il perd la guerre, il est foutu. Il le sait. Il doit à tout prix apparaître comme un vainqueur.

Ce n’est pas sans raison qu’il lésine autant sur un cessez-le-feu, au grand dam de son comparse de la Maison-Blanche. Deux bouffons pathétiques!

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L’invasion russe de l’Ukraine en est à sa troisième année. Mais la guerre avait commencé bien avant: en fait, elle avait commencé en 2014 lorsque la Russie a annexé la Crimée et pris fait et cause pour l’annexion du Donbass, région russophone de l’est de l’Ukraine.

L’annexion de la Crimée en 2014 avait soulevé l’ire des capitales internationales. L’Assemblée internationale des Nations-Unis avait déclaré que cette annexion était invalide. Pour une fois, elle avait même grondé la Russie! Oh la la!

Plusieurs pays occidentaux, dont le Canada et les États-Unis, ainsi que l’Union européenne, avaient refusé de reconnaître cette annexion, affirmant qu’il s’agissait d’une violation du droit international.

L’Union européenne, de même que les États-Unis, avaient, de surcroît, imposé des sanctions économiques à la Russie. Mais, comme on a pu le voir en 2022, tout cela n’aura pas suffi à ralentir les pulsions impérialistes de Vladimir Poutine qui a pu profiter au demeurant d’un appui modéré de l’Inde et de la Chine.

Entre 2014 et 2022, la région du Donbass fut le centre d’une guerre d’usure entre les forces ukrainiennes et celles des milices du Donbass alliées à Moscou. Après des référendums qualifiés de référendums-bidons conçus pour satisfaire aux exigences de Moscou en lui apportant, en conséquence, les résultats escomptés, Poutine devint plus isolé que jamais, jusqu’à ce qu’il traverse le Rubicon et, les yeux plus grands que la panse, réclame l’Ukraine au grand complet.

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On connaît la suite. Mais il n’est pas mauvais de se rafraîchir la mémoire sur cette guerre stérile pour bien comprendre l’enthousiasme des résidents de mon immeuble: le monde s’est, en grande partie, définitivement rangé du côté de l’Ukraine dans cette guerre.

Pourtant, aucune de ces personnes n’est en faveur de la guerre en général. Sans être des pacifistes à outrance, elles font preuve d’un esprit critique, capable de discernement, quand on discute d’autres sujets politiques.

Ainsi en est-il pour l’horreur qui n’en finit plus dans la bande de Gaza. Parmi mes interlocuteurs de l’immeuble, personne n’appuie le Hamas. Tout le monde reconnaît à Israël le droit d’exister et de se défendre, ainsi qu’ils reconnaissent aux Palestiniens le droit d’avoir un pays et de survivre.

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Comparons l’Ukraine et Gaza. L’Ukraine est un pays envahi par une puissance voisine hostile. L’Ukraine est en droit de se défendre. À tel point que plusieurs autres pays lui viennent en aide.

À Gaza, c’est tout à fait différent. Celui qui s’en est pris à Israël est un mouvement terroriste, et non un État. Israël a parfaitement le droit d’attaquer le Hamas et de tenter de l’annihiler. Et ça s’arrête là. Israël n’a pas le droit de tuer femmes et enfants, et d’affamer ceux qui survivent. C’est pourquoi, nombre de pays critiquent sévèrement le gouvernement Netanyahou.

Personne ne peut appuyer, même du bout des lèvres, les abominations que le gouvernement israélien commet à Gaza. Et tout le monde récuse les prétentions du premier ministre et de son état-major à l’effet qu’il ne s’agit que de représailles de légitime défense à la suite du carnage du 7 octobre 2023.

Le droit pour un État de recourir à la force pour se défendre est bien balisé. La riposte à une attaque doit être proportionnée à l’attaque subie. Un État ne peut en oblitérer un autre, au nom de la légitime défense, comme si de rien n’était.

À Gaza, on n’est plus dans la légitime défense, mais dans la vengeance sanguinaire. Je ne sais pas s’il s’agit réellement d’un génocide comme le soutiennent plusieurs, mais il me semble que c’est définitivement un crime contre l’humanité.

Et il n’y a jamais d’enthousiasme chez mes amis résidents, quand on se regroupe dehors, pour les nouvelles frappes israéliennes à Gaza, les nombreux morts et la famine organisée par Israël.

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La frontière entre l’indignation et l’espoir est devenue aussi mince que la cloison entre deux appartements! On a l’impression que la planète est en pleine dérive sidérale. Les guerres se succèdent, les justifications s’empilent, et les morts se taisent.

On est conscient que notre enthousiasme est somme toute futile, et que c’est le désir d’un humanisme fructueux qui nous anime en réalité.

Peut-être est-ce cela, notre dernier refuge: rester capables de discernement, de nuance et d’empathie, même quand la planète tangue et que les certitudes s’effritent.

Alors, oui, on s’enthousiasme parfois, on s’indigne souvent, mais on continue surtout à espérer que, quelque part, la raison finira par l’emporter sur la folie des hommes.

Han, Madame?

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